Diasporas, le temps des régions ?
Co-fondateur du Diaspora Institute, l’Irlandais Martin Russell a ouvert le colloque sur les diasporas celtiques organisé à Lorient par l’Institut culturel de Bretagne, le FIL et la Région Bretagne, en présentant les fondements des politiques publiques de soutien aux diasporas qui se sont multipliées à travers le monde depuis une quinzaine d’années.

Avec son partenaire Kingsley Aitkins, Martin a conseillé près de 50 organisations nationales, régionales ou locales cherchant à mettre en place des politiques de soutien à leur diaspora. Ils ont par exemple contribué au plan de développement de la diaspora cornouaillaise (Cornwall) 2025-2028 qui vient d’être publié.
« Le temps des diasporas est venu » a expliqué le chercheur qui considère que l’amorce de ce phénomène remonte à une quinzaine d’années. « Les réseaux de diaspora ont désormais un impact majeur, non seulement sur le plan économique, mais aussi diplomatique et culturel et notamment sur les industries créatives ».
Selon lui, un des intérêts majeurs des politiques de diasporas est qu’elles ne sont pas concurrentielles. Les acteurs des diasporas, qu’elles proviennent d’Inde, d’Irlande, d’Écosse, du pays de Galles ou de Bretagne, auraient en effet tendance à coopérer plutôt qu’à chercher des positions dominantes.
« On a longtemps considéré que c’était une affaire d’État ou de nations, à l’instar de la diaspora irlandaise. Mais depuis cinq ou dix ans, nous avons constaté que cela concerne davantage les niveaux locaux ou régionaux, là où l’on ressent vraiment un sentiment d’appartenance et un lien avec les autres. Ce n’est pas une question de passeport ou de citoyenneté, mais d’appartenance à l’endroit d’où vous venez où à des régions avec lesquelles vous avez des affinités. Ce sont dans les communes ou villages où ils ont vécu que les leaders des diasporas ont envie d’investir, pour contrer l’exode rural et créer des emplois. L’attachement à l’histoire personnelle et l’ancrage physique est très important. »
Les travaux de Martin Russell et de Kingsley Aitkins ont en effet montré qu’en matière de diaspora, il y a davantage d’engagement et de réussite au niveau local et régional qu’au niveau national. Ceci explique que les villes et région, mais aussi d’autres organisations comme les universités, les agences de développement et de tourisme investissent dans le capital émotionnel lié aux diasporas.
Diaspora et rayonnement
L’universitaire irlandais a aussi expliqué que le temps des réseaux est aussi celui de la reconfiguration des liens et alliances, à l’instar de ceux qui relient les pays celtiques. « Les travaux de Nicols J. Cull, professeur en diplomatie à l’Université de Californie du Sud, ont notamment montré que face aux tentatives de déstabilisation et de désinformation, la « sécurité réputationnelle » est au cœur des enjeux actuels. Ce qui compte le plus, c’est ce que les autres pensent de vous, le capital de sympathie et de crédibilité dont vous disposez. Cela a un impact sur le développement économique et les diasporas ont un rôle considérable à jouer pour renforcer cette image. »
Martin Russell a aussi souligné l’importance pour les collectivités qui s’engagent dans cette voie d’être à l’écoute des acteurs de la diaspora et de garder un contact étroit et engageant. « Ce n’est pas la taille de la diaspora qui compte, mais la volonté de ses acteurs d’entretenir un lien avec la communauté d’origine. En matière de diasporas, il suffit d’une vingtaine de personnes pour faire la différence, mais il faut les identifier et les impliquer, car les diasporas sont souvent « cachées ».
Une richesse avant d’être une ressource
« On voit trop fréquemment des responsables expliquer à leur diaspora qu’ils ont besoin d’elle, de leurs ressources, leur demander beaucoup. Cela ne donne pas envie de s’engager, il faut exprimer une certaine confiance et disposer de réseaux solides. On peut avoir des organisations plus fragiles, notamment dans la culture, le sport, la solidarité, mais il faut aussi des organisations puissantes qui donnent envie d’agir. Enfin, il ne faut jamais oublier que les membres de la diaspora sont bénévoles, ils ont un métier, une famille, des engagements, il faut que leur engagement soit plaisant, convivial, que ce soit fun ».
« L’expérience révèle que le soutien à la diaspora génère trois catégories de gagnants, conclut martin Russell : le pays d’origine, les membres de la diaspora et le pays où elle se trouve. Les diasporas sont un agent du changement, remerciez-les, reconnaissez-les et faites leur confiance ! »
Son intervention a été suivie de celle de Trevor Ó Clochartaigh, ancien sénateur pour la diaspora irlandaise et actuel Directeur des opérations de la chaîne gaélique TG4. Il a évoqué son parcours personnel en tant que membre de la diaspora irlandaise et particulièrement sa naissance et scolarité dans le nord de l’Angleterre avant de prendre conscience de ses racines et du besoin de se reconnecter avec l’Irlande au point d’y mener une carrière politique et d’en épouser la langue. Nous consacrerons un prochain article à cette intervention qui a marqué l’assistance par son humanisme et sa sensibilité.
